vendredi 3 février 2017

« Les spécialistes de la Tradition » : réponse d’Alexandre Gnocchi à M. l’abbé Citati à propos de la « controverse » sur Mgr Schneider

Texte original italien : https://www.riscossacristiana.it/fuori-moda-la-posta-di-alessandro-gnocchi-240217/

Première traduction française : http://medias-catholique.info/les-specialistes-de-la-tradition-reponse-dalexandre-gnocchi-a-m-labbe-citati-a-propos-de-la-controverse-sur-mgr-schneider/6205

Traduction française légèrement améliorée par des amis de Reconquista :




J’ai lu l’article avec lequel Don Angelo Citati répond sur le site de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X à mes récentes considérations sur l’institut dont il est devenu récemment un prêtre. Je vous avoue que si ce qui se passe dans les coulisses concernant la publication de cet article n’était pas parvenu à ma connaissance, je n’y aurais pas répondu. Les conditions nécessaires n’auraient pas été réunies, parce que la sympathie naturelle que j’ai pour le zèle des jeunes pousses comme Don Citati est inversement proportionnelle à la considération que j’ai pour leurs écrits. Comment pouvez-vous ne pas trouver sympathique un jeune prêtre qui, au nom de la Fraternité Saint-Pie X, arrive même à pardonner volontiers ma véhémence de début de sexagénaire ? « C’est pourquoi nous lui pardonnons volontiers ces derniers articles intempestifs », me dit le jeune Don Angelo Citati. Mon petit, mais pour qui vous prenez vous, avec vos mandats ? Vous savez combien je me soucie de votre pardon et de celui de la FSSPX à propos de mes articles intempestifs ? Écoutez, je le passe à Paul Deotto, qui publie mes articles, votre pardon, juste au cas où lui en aurait besoin.


J’ai rarement vu le ridicule monter si haut et avec une telle facilité. Pour en faire autant, Bergoglio, qui est pourtant Bergoglio, doit mettre un nez de clown et faire deux culbutes sur la place Saint-Pierre ; Don Citati et ceux qui sont pour lui ont, quant à eux, très bien réussi à rester sérieux. Pas un bon signe.



Je vois déjà les belles âmes habituelles offensées par la façon dont je traite un prêtre, sans respect pour la soutane. Mais le prêtre, s’il veut garder son sacerdoce loin de ces dangers, devrait avoir la prudence de ne pas se mêler des diatribes publiques. Du moment qu’il le fait, il doit avoir la virilité d’enlever sa soutane et d’entrer dans la mêlée. Voilà pourquoi les écrits d’un religieux ne devraient porter en signature que le prénom et le nom de famille sans le titre religieux. Il faut en prendre note, cher révérend, et de ne pas mettre en péril le « Don » dans des questions trop épineuses pour le simple Angelo Citati. Première erreur.



Mais revenons au pardon que vous me concédez « volontiers » au nom de la FSSPX. Peut-être le pauvre Don Citati ne se rend pas compte de la monstruosité qu’il a énoncée avec style : ceux qui pensent différemment de lui et de la Fraternité Saint-Pie X ont besoin d’être pardonnés. Mais vous et la FSSPX, Don Citati, qui donc pensez-vous être ? La quatrième personne de la Quaternité ? Prenez note que, comme tous les autres hommes, je n’ai à être pardonné que si je pense différemment de Notre-Seigneur : pas si je suis en désaccord avec vous, avec l’abbé Marc Nely, avec Mgr Bernard Fellay, et encore beaucoup moins avec Bergoglio qui vous attend à bras ouverts. Peut-être ne vous en rendez-vous pas compte, mais vous

avez transformé en péché une divergence d’opinion avec vous qui est tout-à-fait légitime. J’en éprouve de la peine, et du mécontentement, parce que nous ne sommes pas là sur le seuil de l’attitude totalitaire, mais en plein dedans et avec les deux pieds. De toute évidence, la maladie de la miséricorde bergoglienne, comme vous le dites dans votre article, a déjà fait le travail qu’elle devait faire.



Mais, pour le bénéfice des lecteurs, revenons au début, en montrant brièvement le chemin hasardeux de l’article de Don Citati : d’abord publié sur le site Web de la FSSPX, puis retiré du site de la FSSPX parce qu’il avait fait rager certains membres de la FSSPX, puis remis sur site de la FSSPX après l’imprimatur explicite de Don Marco Nely, proconsul de Mgr Fellay dans le district italien jusqu’à ce que l’accord soit

Don Angelo Citati - Première messe le 9 juillet 2016


ratifié. Par conséquent, bien qu’exprimée par un jeune arbrisseau si naïf et pourtant si sympathique, l’opinion de Don Citati est celle de la Fraternité. Et, pour cela, il mérite quelques éclaircissements, dont je me serais abstenu autrement.



Par complément d’information, je ne viole aucun secret si je dis qu’à 16:47 le samedi 21 janvier, j’ai reçu un courriel dans lequel le Don Citati susmentionné m’a prévenu qu’il avait publié l’article en question en m’assurant encore de toute son estime, l’absence totale d’intention polémique, et ainsi de suite. Deuxième erreur.



Il n’y a pas d’attitude capable de donner des hauts de cœur à mon estomac de vieux professionnel comme celui de quelqu’un qui te lance une pierre et puis t’alerte. La si fréquente mauvaise pratique de l’attaque publique et de l’excuse en privé. Lorsque démarre une controverse, les honnêtes gens ont une double possibilité : appeler la personne concernée avant d’écrire contre elle, afin de s’expliquer, ou bien ne rien dire, quoi qu’il puisse se passer ensuite. Celui qui écrit pour se justifier après avoir jeté la pierre, peut le faire pour deux raisons : soit il est peu doué de virilité et tente en quelque sorte de se mettre à l’abri d’une éventuelle réaction, soit il est le petit malin habituel de la banlieue, dans le cas présent le petit malin du modeste district, qui pense s’en tirer avec un chèque postdaté, espérant que personne ne se rende compte qu’il a été découvert.


Et maintenant quelques considérations sur l’article Don Citati, qui reflète la pensée officielle de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Mais pas avant de préciser que je n’ai rien à corriger dans les passages de mon écrit précédent, si désagréable à tant de palais délicats : non, je ne me suis pas mal exprimé ; non, je n’ai pas été mal compris ; non, je ne voulais pas dire autre chose. Dans un monde où tous sont prompts à se rétracter, même quant à leur opinion sur un but hors-jeu, vous apprécierez au moins cette franchise.


Par conséquent, selon Don Citati et selon la FSSPX, ce à quoi on est sur le point d’assister ne serait pas un « accord », mais une reconnaissance canonique unilatérale sans contrepartie doctrinale. J’ai plusieurs fois expliqué que c’est précisément ce « sans contrepartie doctrinale » qui établit définitivement que la doctrine ne vaut rien, et ce avec la complicité de la FSSPX.



Mais ce n’est pas la question : on se fiche du monde, Don Citati ? Troisième erreur. Depuis quand un acte « unilatéral » de cette ampleur est fait sans l’accord du destinataire de la mesure prise ? Bergoglio, homme impitoyable et de pouvoir très efficace, et la machine curiale modelée à son image et à sa ressemblance, seraient en danger de s’entendre dire par Mgr Fellay « Merci je ne préfère pas, je ne marche pas » et de rester le bec dans l’eau ? Tant il est vrai que jamais comme en ces temps les salles profanes de Sainte-Marthe n’ont été fréquentées, de façon visible ou cachée, par les dirigeants et par les émissaires de la FSSPX. Dites-moi Don Citati : ils l’ont fait pour boire un Fernandito en bonne compagnie ou pour coordonner les prochaines actions à entreprendre ?

Nous arrivons ensuite à la longue liste des déclarations gentilles de Mgr Lefebvre sur Rome compilées par le diligent Don Citati au nom et pour le compte de la FSSPX. Quatrième erreur. Comme beaucoup l’ont remarqué, notre écrivain audacieux se révèle être mal formé ou avoir un inquiétant esprit sélectif pour un jeune homme de son âge. Ce prêtre connaît peut-être mal l’histoire de l’institut dont il fait partie, puisqu’à propos des relations de la Fraternité de Mgr Lefebvre avec Rome, il montre de nombreuses lacunes. Pourtant, pour éviter de passer pour un imbécile, il suffisait de consulter Wikipedia, qui dit : 


« En dépit de la réprimande officielle (17 juin), le 30 juin 1988 Lefebvre ordonnait quatre évêques (un de plus que ce qu’il avait annoncé précédemment) et accomplissait ainsi un acte de schisme (en conformité avec le canon 751 du Code de Droit Canon), ayant ainsi refusé ouvertement la soumission au pape et la communion avec les membres de l’Église qui lui sont soumis. En conséquence, aussi bien Lefebvre que les évêques consacrés par lui ont encouru ipso facto (i.e. par le fait même d’avoir posé cet acte) l’excommunication latae sententiae ( « jugement déjà donné », qui sera imputé par le fait même d’avoir posé l’acte) dont la levée est réservée au Siège apostolique ».




Pas mal, comme acte d’obéissance à la Rome apostate et moderniste ! Et, croyez-moi, je ne suis pas certain que c’était un acte à blâmer ! En effet, je pense que c’est l’un de ces choix qui, à travers l’histoire, ont contribué à sauver l’Église et pour lequel Mgr Lefebvre sera loué. Mais tout cela, Don Citati ne le sait pas. Ou, s’il le sait, il semble avoir accepté l’attitude totalitaire de changer le passé afin de déformer à volonté le présent et l’avenir, si bien décrite par George Orwell dans son 1984. Cela me conduit à penser que le travail de réinterprétation de la pensée du fondateur est déjà en place, même dans la FSSPX, et il est donc urgent de rééduquer tous les éventuels dissidents. Car il est clair que le pauvre Don Citati n’a pas été mandaté pour me convaincre, puisque je ne pouvais pas me ficher davantage de ce qu’il dit, mais plutôt pour convaincre ses confrères peu convaincus de la tournure prise par l’Institut ces derniers temps. Avec quel résultat ? Nous verrons.



Enfin, une considération sur l’escroquerie qui consiste à faire coïncider la Tradition avec la Fraternité Saint-Pie X, alimentée avec une force toujours croissante dans la Fraternité elle-même. Cinquième erreur. Dans ce cas, une brève mais intense leçon de journalisme, qui pourrait servir de leçon au téméraire Don Citati s’il devait jamais s’aventurer à reprendre la plume, mais en tant qu’ancien dans la profession, je ne le lui conseillerais pas.



Le 10 janvier 1987, Leonardo Sciascia, un des plus grands gentilshommes parmi les intellectuels italiens du XXe siècle, écrivit pour le Corriere della Sera un article intitulé « Les professionnels de l’antimafia ». Se prononçant seul contre l’immoralité d’un pouvoir politique fondé sur les mérites réels ou présumés dans la lutte contre la mafia, il disait :



« Ainsi on peut en conclure que l’antimafia était alors instrumentalisée par une faction, en interne au fascisme, pour parvenir à un pouvoir incontesté et incontestable. Et incontestable non pas parce que le régime était axiomatiquement incontestable ou pas seulement, mais parce que le retour à l’ordre public paraissait si peu atteignable, que la dissidence, pour une raison quelconque ou sous quelque forme que ce soit, pouvait facilement être étiqueté comme mafieuse. La morale que nous pouvons extraire, pour ainsi dire, de la fable (très documentée) que Duggan nous raconte ? Elle consiste à garder à l’esprit : l’antimafia comme un instrument de pouvoir. Cela peut très bien se produire même dans un système démocratique, la rhétorique aidant et l’esprit critique manquant. Et nous en avons quelques symptômes, une petite idée. Prenez, par exemple, un maire qui par sentiment ou par calcul commence à se montrer dans des entretiens télévisés, dans des réunions, des conférences et des cours comme anti-mafieux. Même s’il consacre tout son temps à ces entrevues et qu’il ne trouve jamais le temps pour faire face aux problèmes du pays ou de la ville qu’il administre (qui sont nombreux, dans tous les pays, dans toutes les villes : de l’eau qui manque aux ordures qui abondent), il peut se considérer en sécurité. Peut-être quelqu’un, très timidement, osera lui reprocher son faible effort administratif : et cela de l’extérieur. Mais de l’intérieur, dans le conseil de la ville et dans son parti, qui osera promouvoir un vote de confiance, une action qui le mettra en minorité et provoquera son remplacement ? On peut se dire que, à la fin, il y aura quelqu’un pour le faire, mais au risque d’être marqué de l’étiquette de mafieux, et avec lui tous ceux qui vont le suivre. »
La FSSPX vit maintenant, ou plutôt survit, grâce à un mécanisme similaire. Elle s’est auto-identifiée avec la Tradition et, par conséquent, toute personne qui la critique est accusé d’être un hérétique anti-traditionnel. Il est vrai que cette identification est venue en partie en raison d’un mérite historique objectif, mais le fait demeure que l’équivalence est fausse et a toujours été fausse. Celui qui critique la FSSPX critique la FSSPX seulement et n’attaque pas la Tradition ou l’Église catholique. Aussi, ne faut-il pas se scandaliser si quelqu’un dit qu’il ne peut se ficher davantage de la route que prendra cette institution. La même chose devrait être dite pour enlever à la FSSPX un monopole qu’elle s’est arrogée de façon indue, le transformant en un instrument de pouvoir.



Maintenant, se présentant comme les seuls dépositaires du marché traditionnel, Fellay & Cie ont trouvé dans Bergoglio l’interlocuteur idéal pour faire fructifier une telle rente. Ils rendent hommage au souverain, ils en reconnaissent la souveraineté perfide, et lui, de son côté, concède un fief loufoque aux nostalgiques de la messe en latin avec la capacité de faire ce qu’ils veulent. Il suffit qu’ils lui garantissent le bon ordre, la discipline et reconnaissent sa suprématie. Pour leur part, les farfelus nostalgiques de la messe en latin utilisent l’objectif atteint comme une preuve que l’Église commence à guérir, de sorte qu’elle est maintenant guérie parce qu’elle les a écoutés eux aussi. Donc, ça suffit de bougonner parce que le dirigeant vous a laissé en paix. Ils diront que vous pouvez vous détendre, qu’il n’est plus nécessaire de mettre de sentinelles pour garder la foi et, dans quelques années, ils finiront par célébrer la nouvelle messe pour remplacer les nouveaux curés en vacances aux Maldives : il vaut mieux que ce soit nous, expliqueront-ils à tous les sceptiques, plutôt que les ministres extraordinaires de l’Eucharistie…



Certains observateurs soutiennent que, dans les trois mois qui suivront l’accord ou la reconnaissance unilatérale, si vous y tenez, la FSSPX devra recevoir un commissaire, comme cela est arrivé à d’autres instituts. Mais ils ont tort : la FSSPX a déjà son commissaire et le plus inflexible des commissaires : son supérieur général, quel qu’il soit, si la roue n’est inversée.


Alessandro Gnocchi

Que Jésus-Christ soit loué !

Source : Ricossa Christiana, 24 janvier 2017